Philokalia, le Vin Palestinien
Collaboration avec Sari Khoury
Bethlehem, Palestine
Palestine, Terre de Promesses
Publié le 04/05/18
par Jean-Baptiste Ancelot - Wine Explorers
"La Palestine était riche en vignes bien avant l’Europe et le vin y était produit dans toutes les régions du pays".
C’est avec ces mots, remplis de joie et d’un amour profond pour cette grande terre d’accueil, que nous reçoit Sari Khoury, vigneron et fondateur du domaine Philokalia, aux portes de Bethléem.
L’OLIVIER, LA VIGNE ET LE BLÉ
Il me tardait de visiter la Palestine. Depuis toujours. Cette patrie viticole pleine de promesses me fascine. Un terroir millénaire pour la vigne – moins connu que la région du Caucase, par exemple – mais où le vin et l’huile d’olive étaient déjà exportés en Egypte il y a 6.000 ans, pour leurs qualités reconnues. Ce qui veut dire que le vin y existait bien avant.
"L’olivier, la vigne et le blé ont été domestiqués depuis 7.000 ans en Palestine, notamment dans la vallée du Jourdain, où ces plantes ne poussaient pas naturellement avant", nous raconte Nasser Soumi, artiste et écrivain palestinien, qui a notamment dessiné les étiquettes de Philokalia. L’histoire agricole du pays est grande. Et celle du vin l’est tout autant, regorgeant de cépages autochtones oubliés, véritables trésors du patrimoine viticole local.
Aujourd’hui, il existe une dizaine de petits domaines en Palestine, dont la moitié commercialiserait ses vins. Nous avons jeté notre dévolu sur le plus prometteur d’entre eux.
PHILOKALIA, DU RÊVE À LA RÉALITÉ
Faire renaître le vignoble palestinien au travers de cépages autochtones oubliés. Une bien belle idée. Ce fut à l’origine le rêve de deux hommes : Nasser Soumi, reconnu pour ses travaux historiques sur le vin en Palestine, et Pascal Frissant, un vigneron français établi dans la Loire et le Languedoc.
"Ils ont partagé ce rêve pendant près de 30 ans. Il n’y avait plus qu’à trouver la personne qui aurait l’envie de porter ce projet à bout de bras. J’ai décidé d’en faire une réalité dans ma ville natale", nous raconte Sari Khoury, des étoiles plein les yeux.
Sari est né et a grandi en Palestine. Il a étudié l’architecture aux Etats-Unis, puis à Paris, à l’école des Ponts et Chaussées, avant de devenir un architecte de renom, dans son pays comme à l’étranger.
S’il endosse la casquette de vigneron une partie de l’année, c’est d’abord par amour du vin et de son pays. "J’aime explorer l’inconnu avec ces cépages oubliés, et en même temps découvrir un peu plus de ma propre culture". Et bien que Sari ne soit vigneron que depuis peu (c’est son 3ème millésime), il sait exactement où il va, depuis le début. Il a d’ailleurs choisi d’appeler son projet Philokalia, qui se traduit par l’amour du beau, l’amour du bien. Tout un symbole.
TRAVAILLER AVEC DES AGRICULTEURS CONSCIENCIEUX
Les vignobles avec lesquels Sari travaille sont situés dans la région de Bethléem/Hébron, entre 870 et 930 mètres d’altitude, et semblent abriter un patrimoine culturel inestimable.
Des tests génétiques récents ont révélé environ 23 cépages endémiques, juste dans cette région, avec plus de recherches à faire dans le futur. Sari s’est entouré uniquement d’une poignée de fermiers, choisis pour des raisons bien précises. Pour leurs techniques de culture viticole ancestrale, non documentée et transmise à l’oral, tout d’abord, mais aussi pour les cépages autochtones qu’ils cultivent. "J’élabore mes vins exclusivement avec des cépages indigènes, sur des vieilles vignes non greffées".
Sari paye également les fermiers à l’avance, pour développer avec eux une relation de confiance sur le long terme.
Dans un pays à l’instabilité permanente, où les terres peuvent être confisquées du jour au lendemain et sans motif apparent, c’est aussi une façon de s’entraider et de voir l’avenir ensemble, avec positivisme. "Plus tôt l’aspect financier est réglé, plus tôt on peut se concentrer sur la production et la qualité des raisins", résume Sari.
Déambulant au milieu de vignes centenaires, poussant naturellement en gobelet sur des sols vierges de tout traitement, au milieu d’oliviers plus âgés encore, je réalise à quel point ce système ancestral est ingénieux. La vigne ainsi plantée, avec son feuillage protecteur, s’adapte parfaitement aux conditions climatiques arides de la Palestine, où il est impossible d’irriguer. Au final, certains raisins seront plus mûrs que d’autres lors de la vendange.
Et c’est cet équilibre naturel entre la sur-maturité de certains raisins d’un côté et l’acidité de quelques raisins plus verts de l’autre, qui va donner au vin sa complexité, sa texture en bouche et son caractère unique.
LES JARRES NOIRES DE BETHLÉEM
Rentrer dans le garage de la maison familiale, à Bethléem, où Sari a construit la cave du domaine Philokalia et dans laquelle dorment sagement quelques centaines de litres de vin, me procure un bonheur immense. Tout ici est pensé avec simplicité, ingéniosité et malice.
"Mon but est de travailler en utilisant des jarres noires pour la fermentation et le vieillissement des cépages palestiniens indigènes, afin de préserver l’équilibre entre ces vins et la cuisine locale, trop épicée pour des vins élevés en barrique".
Je m’interroge cependant : pourquoi des jarres de couleur noire ? "Autrefois, on conservait le vin et l’huile d’olive dans des jarres noires comme celles-ci. C’est la même terre et la même matière que les jarres classiques.
Sauf que la cuisson change : au lieu de 800°C, elle monte jusqu’à 1.100°C, ce qui réduit considérablement la porosité de la jarre et lui confère une excellente étanchéité, offrant au vin une protection naturelle contre l’oxydation".
Les résultats sont incroyables. Pas de doute, Philokalia est sur la bonne voie et met plus que jamais la Palestine sur la carte du vignoble mondial !
La Palestine est une terre merveilleuse, pleine d’espoir, d’humanité et de promesses, notamment viticoles.
Le potentiel pour de grands vins y est indéniable, en particulier s’ils sont élaborés à partir de cépages autochtones, dont le nom est pour l’instant un secret précieusement gardé. C’est bien normal.
Palestine, nous reviendrons bientôt. Pour ton accueil et tes bons vins.
Source: Le Figaro, Vin
Photos:
Maxime Logier
Quentin Huriez
Nasser Soumi